Gwenaëlle de Spa

Emilie Breux

 

 

C’est avec l’esprit léger qu’il faut aborder l’univers d’Emilie Breux. Du clinquant, du vif, un brin de nostalgie percute d’entrée de jeu la rétine, lorsque l’on se tourne vers ses oeuvres.

Ses débuts, elle les a faits aux Beaux-Arts de Caen, jusqu’en 2011. C’est à la fin de ses études que les prémisses d’un dédoublement d’identité font leurs apparitions. Peu à peu, la figure de Jean Lain se déploie en parallèle de sa pratique personnelle. Une double vie qu’elle mène en binôme, et dans laquelle se mêlent en permanence le goût du festif et un certain attrait pour les symboles de nos sociétés de consommation, teintés de cynisme édulcoré.

Dans son travail personnel, on trouve une profusion de fleurs, de dorures et de marbres. Symboles surannés de l’art classique, ces éléments sont couchés sur des grands formats de papier. Sous un trait vibrant et précis, elle donne vie à des assemblages floraux, des bustes antiques de philosophes, des cieux étoilés sur lesquels se juxtaposent systématiquement des smileys, ou d’autres émoticônes plus actuels. Du baroque, du poussiéreux, mais revisité par des visions néokitch et des références eighties.

Certaines de ses réalisations transposent le dessin à l’objet. Minutieusement, elle a par exemple tissé les franges d’un rideau doré pour en faire une tapisserie miroitante (Septante, 2016). Elle compose aussi des visages avec des fleurs qu’elle a soigneusement récoltées, pressées dans un livre, puis dorées à chaud (Face #10, 2015).

Ce sont des gestes simples qui ponctuent son processus créatif : le coup de crayon, la récolte d’éléments naturels, le tissage. Exécutés avec la patience, et la maitrise que nécessitent ces techniques traditionnelles, ces dessins cohabitent avec des références contemporaines. Sur ces images liées au passé, on retrouve des visages gommés aux traits maladroits qui rappellent ceux faits à la souris d’ordinateur sur un logiciel de création graphique. La superposition des gestes n’est pas non plus sans évoquer les calques ou les copiés/collés utilisés dans ces mêmes logiciels. A la vitesse et l’instantanéité des créations sur Photoshop ou Illustrator, s’opposent la lenteur du tracé au crayon et le travail manuel. Mentionner conjointement ces processus ne serait-ce pas là une manière de créer un temps et un espace nécessaires à une réflexion sur la façon dont l’unicité d’un travail doit se positionner par rapport au développement de nouveau mode de production ?

Ces problématiques liées à un télescopage d’époque permettent aussi d’aborder celle des symboles omniprésents dans son travail. Au même titre que le smiley illustre une émotion, chaque fleur dans une composition n’a-t-elle pas une signification déterminée, si ce n’est déjà, la fragilité de la vie ou la vanité ? Ces smiley, quels rôles jouent-ils dans l’articulation des surfaces ? Qu’ils soient soustraits à l’image d’origine (des réserves dans le papier /outil gomme) ou en addition (collage des paires d’yeux aux regards obliques), ces visages sont autant de portes d’entrée, de lecture indirectes ou biaisées qui l’air de rien déstabilisent et participent à la création d’un sentiment de malaise ou de mélancolie. Comme si, malgré ces allures pop et festives nous n’étions pas réellement invités à participer au jeu qui se livre entre les surfaces de l’image.

Au-delà de cette apparente légèreté, Emilie Breux porte son regard sur l’histoire des images. Elle joue avec la diversité des lectures qu’elles peuvent à dessein produire lorsqu’elles se réfèrent à une iconographie classique, que ce soit dans les bustes de Donatello (Gummed Donatello, 2015) ou les peintures du maitre hollandais Ambrosius Bosschaer (Gummed Ambrosius Bosschaert). Au moyen de vas et vient entre passé et présent, elle décontextualise les représentations et affiche une esthétique de collage qui souligne le caractère artificiel des compositions. D’autant plus que cette démarche postmoderniste de réappropriation mobilise des imaginaires antagonistes entre pop culture et image classique, entre technologie et analogie, entre le vivant et l’inerte.

Sous ces coups de crayon, ce sont bel et bien les enjeux de la disparition et des faux-semblants qui sont interrogés. Libéré de toute contingence, le papier devient alors le support de projection sur lequel il est possible d’entrer en contact avec d’autres réalités. Mais, est-ce malice ou coïncidence si ces images parviennent à formuler des représentations dont l’identité visuelle se joue grâce à la complicité du souvenir et de l’imaginaire ?

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