Par leurs captations d’éléments triviaux qui résistent à toute grandiloquence, Roeland Tweelinckx et Rui Calçada Bastos transfigurent les objets du réel et s’en servent pour convoquer les fantômes et la nostalgie d’un monde chaotique, angoissé. Tous deux contribuent, par des processus distincts, à une nouvelle définition de « l’objet trouvé ». Renouveau issu du mouvement décrit par beaucoup comme « post 11.09 », en reflet de l’incertitude du temps présent. Au travers de cette sélection, la galerie Irène Laub souhaite mettre en exergue la capacité qu’ont ces deux artistes à transfigurer le banal – pour reprendre le terme de Arthur Danto – pour sa contribution à la Fiac.
Que ce soit lors d’expositions dans son pays d’origine (Centro Cultural de Belém, Galeria Fonseca Macedo, Museu de Arte Contemporânea de Elvas) ou à travers le monde (Gagosian Gallery, Tate Modern, Centro de Artes Helio Oiticica), le réel en ce qu’il a de plus anodin est source de réflexion pour Rui Calçada Bastos. Il immobilise l’insignifiant qu’il capte au travers de photographie ou de sculptures, des instants « qui ont été », comme le dirait Roland Barthe, et qui aujourd’hui ne sont plus. A l’image de ce grand format photographique, ce mur où un chapelet resté trop longtemps accroché à deux clous a laissé sa marque. Son œuvre se construit par rapport à des points de vue qui sont autant de récits interrompus, de fantômes contredisant le présent. Aucun secret ne se cache derrière les images que l’artiste propose. Les objets de son attention ne sont pas plus que ce qu’ils donnent à voir. Ils sont ce qu’ils sont. L’habilité de Rui Calçada Bastos réside dans sa capacité à transformer le trivial en singulier. Concédant au statut d’objet trouvé une valeur nouvelle, ses œuvres font office d’autant de consécrations de la vie ordinaire, tout en restituant une expérience sociale parfois politique. « O mundo na mao » Le monde dans nos mains, livre passe-muraille souligne par ailleurs le champ des possibles qu’entrouvre cette lecture.
Roeland Tweelinckx vit et travaille à Anvers. Il déforme habilement dans ses sculptures et ses interventions spécifiques au site les archétypes ancrés dans nos consciences. Lorsqu’il expose (MG+MSUM à Ljubljana ou à secondroom à Gent, Plataforma Revólver à Lisbonne etc.), une armoire discrètement ploie sous sa propre charge alors qu’un radiateur presque fondu par la chaleur qu’il dégage se ratatine sur lui-même. Sa démarche résulte toujours d’interventions minimales qui tournent la réalité en dérision. La réflexion Roeland Tweelinckx s’articule autour des objets familiers lorsqu’ils déjouent le regard que nous posons sur eux. Posés, encastrés, dissimulés, pris en sandwich, ces objets ont pour mission d’indiscipliner la sculpture. Il mine nos certitudes tout en permettant, paradoxalement, de conserver une réelle dimension affirmative. En cela, la fonction des objets que propose Roeland Tweelinckx diffère de celle du readymade présenté seul, dans la tradition duchampienne. La compréhension d’un spectateur face aux interventions de l’artiste dans un certain espace participe à cette dérive en se référant à des questions davantage marquées par l’art conceptuel.
Au-delà du dialogue qu’ils tissent avec le monde du banal, c’est avec une apparente légèreté que Roeland Tweelinckx et Rui Calçada Bastos abordent des thèmes de la perte, du passage du temps et de l’arrachement. Chacun à leur manière, ils élargissent les questions posées par le ready-made. Héritiers assumés d’un art des années 1960, ils ne nient pas pour autant l’expérience humaine puisqu’à travers leur travail ils tentent de faire sentir au regardeur le réel avec plus d’acuité. L’un par une démarche d’addition, l’autre dans un mouvement de dépouillement, ils donnent à voir une réalité proche, pourtant sujette à de l’inattendu afin de proposer un art à l’épreuve du monde.