Inspiré par Cézanne et à la poursuite de nouveaux modes de composition, c’est durant l’automne 1912 qu’apparaissent pour la première fois les papiers collés dans les recherches de Braque et de Picasso. Bouleversant la forme traditionnelle de la représentation picturale, les deux peintres donnent une impulsion nouvelle au cubisme et incitent l’engagement qu’aura tout au long de sa carrière, Picasso pour ce matériau. Bien plus qu’un simple support, le papier sera considéré par le célèbre peintre espagnol (1881-1973) comme un vecteur possible d’expérimentations inédites.Tête de femme
“ Tête de femme” est réalisée en décembre 1962 par Picasso dans sa villa à Mougins. Il sculpte le modèle à même une feuille de papier issu d’un carnet de croquis. Une bouche, un nez, se détachent du profil tandis qu’un oeil vu de face et la chevelure sont ciselés dans la feuille. Complété par des traits de crayon fins, le buste d’une jeune femme se dessine dans des aplats synthétiques dont les contours n’en sont pas moins délicats et expressifs. Les motifs cubistes qui constituent l’oeuvre sont maintenus dans l’espace au moyen de trois plis simples. Ensemble, ils décident du volume alors que leurs axes qui se profilent de biai dynamisent la fragile sculpture.
Le plan dans l’espace
Ce portrait dont les traits rappellent ceux de Jacqueline Roque que Picasso vient tout juste d’épouser, est fragmentée sous plusieurs angles de vue. Interpellant l’espace pictural que l’artiste développe depuis ses débuts, l’image est rabattue dans le plan. Le vide rejette le regard sur la périphérie des volumes et cet agencement en creux compose avec les différentes surfaces pour qu’elles s’imbriquent harmonieusement les unes par rapport autres. Par ailleurs, l’équilibre et le mouvement de la figure sont amplifiés par la fragilité de la matière dont est extraite la composition. En effet, l’économie de moyens du peintre contraste avec la ferveur de l’expression et l’inventivité du jeu entre les lignes et les formes, entre le plein et le vide, entre l’ombre et la lumière. Manipulé par Picasso, l’épaisseur de la
feuille, son volume, est ici directement à prendre en considération pour ne plus être un simple réceptacle de la forme.
Les tôles pliées.
Cet intérêt pour le papier est à corréler avec l’apparition d’un nouveau matériau popularisé par le design d’objet et l’industrie : la plaque de tôle. De ses essais sur papier, Picasso transpose avec l'aide du maître-forgeron Joseph-Marius Tiola ses expériences délicates en des tôles découpées, pliées puis peintes. Ses sculptures qui jusque-là puisaient davantage dans les ressources qu’offre l’assemblage, la combinaison et la juxtaposition, suscite de
nouveau rapport au volume en explorant les possibilités qu’offre la projection de plan dans l’espace. Au travers des sculptures qui voient le jour entre 1954 et 1964, c’est le dessin qui anime les volumes. Ces oeuvres prolongent les investigations plastiques du peintre. Le procédé utilisé pour la réalisation de cette “Tête de femme” se situe à mi-chemin entre la mise en espace et la représentation picturale. Elle peut être considérée comme un aboutissement des décompositions cubistes de l’espace perceptif. Au travers de ce renouvellement formel, la production de l’artiste à cette période s’intensifie et sera l’occasion pour lui d'expérimenter des réalisations à échelles plus imposantes répondant au désir qu’a Picasso de réaliser des oeuvres monumentales. Picasso n’eut de cesse de créer des formes nouvelles au regard de ses créations antérieures. Multiple, plus que changeant, la capacité qu’il a à rejouer ses propres créations afin d’en extraire des formes nouvelles, participe au génie du grand maître du XXe siècle. La prolifique production de l’artiste ne peut que justifier cette exposition présentée à la Royal Académy of art de Londres qui propose une regard nouveau sur la pratique de l’artiste par le biais de l’un de ses matériaux de prédilection.