Lee Krasner, Icarus, 1964
Icarus est peint par Lee Krasner en 1964. L’espace de la toile est recouvert de blancs, roses et oranges vifs striés dans un mouvement impulsif de traits noirs. Peut-être pouvons-nous y déceler par endroits, un œil, un visage ou une forme familière qui permettrait d’identifier la référence au héros de la scène mythologique ? Sans doute, dans cette tentative presque vaine de prise en main d’un sujet qui se dérobe, faut-il reconnaître au travers de ces tourbillons multicolores, l’expression tumultueuse du célèbre récit.
Dès son plus jeune âge, Lee Krasner (1908–1984) souhaite développer une carrière artistique. Elle intègre la prestigieuse National Academy of Design de New-York, puis travaille au coté de Hans Hofmann. C’est par son intermédiaire qu’elle rencontre Clement Greenberg, Mark Rothko et les autres acteurs qui formeront le premier grand mouvement artistique des Etats-Unis. L’expressionnisme abstrait rassemble sous une même bannière des pratiques multiples dont le dénominateur commun se trouve dans la volonté d’expérimenter de nouvelles formes de peintures. Dans les années 1950-1960, l’axe privilégié de l’art se déplace alors de Paris à New York suivant le mouvement des avant-gardes.
Quelle que soit la diversité de sa production, Lee Krasner poursuit l’objectif d’exprimer la complexité individuelle au moyen d’un langage pictural composé de gestes incisifs et de tonalités intenses qui seraient la pure expression des sensations et des sentiments de son auteur. A ses débuts, sa pratique est proche du cubisme. Avec Seated Nude, elle représente par exemple un personnage dont la morphologie s’efface derrière de grandes formes géométriques. Elle réalise ensuite des séries de petites images, comme elle nomme. Des petits formats dans lesquels les dominantes de couleurs primaires s’assemblent par petites touches de pinceau chargé de matières.
Trop souvent éclipsée par le travail de son mari Jackson Pollock qu’elle rencontra lors d'une exposition collective en 1942 à la galerie MacMillan, Lee Krasner n’en est pas moins l’une des figures les plus marquantes du mouvement new-yorkais. L’influence réciproque de leurs pratiques personnelle est palpable lorsque l’on compare des réalisations de même période. Leurs approches de la toile restent cependant radicalement différentes bien qu’elles conviennent toute deux de la nécessité de se positionner en rupture face aux traditions, valorisant une peinture libérée de toute allégeance à la représentation.
Lorsque son célèbre époux disparaît dans un accident de voiture en 1956, les formats s’agrandissent. Les peintures qu’elle réalise dans l’ancienne ferme où travaillait Pollock, sont exécutées dans des tons sombres, témoins de son tourment. Des tonalités plus vives reprendront le dessus vers 1963 avant qu’elle ne s’intéresse à une nouvelle technique : le collage.
Icarus, ainsi que d’autres œuvres réalisées par Lee Krasner à la même période, se distingue par l’intensité brute et le traitement à la fois puissant et contrôlé du geste en contact avec la toile. Dans la composition, on perçoit ses débuts marqués par le cubisme au travers de son utilisation des formes comme découpées dans la couleur. Celles-ci convergent vers le centre dans un mouvement d’accélération qui dirige le regard. Les relations structurales non déterminées du pinceau noir qui courent sur la toile et qui se prolongent hors du cadre, intensifient le rythment de l’ensemble. Le fond devient le sujet du tableau. La représentation cède alors le pas à l’expression profonde des sentiments de l’artiste au travers du geste.
Au côté de Joan Mitchell et d’Helen Frankenthaler, Lee Krasner est l’une des rares
femmes active sur la scène new-yorkaise dans les années 1960. Trop souvent passé sous
silence dans les récits d’histoire de l’art dominé par les hommes, son travail est aujourd’hui revalorisé et mis en regard avec la production de ses contemporains.